Les mille et un visages de l'implication citoyenne

Par Julia Plessing
Traduit de l’allemand par Marion Davenas et Marie Millot-Courtois
En 2023, 93 % des Européens voyaient le changement climatique comme un problème grave pour le monde (Eurobaromètre 2023). Pourtant, les partis politiques souhaitant démanteler les politiques écologiques ne cessent de gagner du terrain dans les urnes. Est-ce parce que la complexité des défis auxquels nos sociétés sont confrontées – à commencer par le dérèglement climatique – et les réponses à y apporter sont difficiles à expliquer et à faire accepter ? Plusieurs études font désormais état d'un « front commun » contre une politique climatique perçue comme socialement injuste, précipitée et idéologique (Eversberg et al. 2024).
Les tensions liées à la transition énergétique se manquent pas de se manifester à l’échelle locale, là où leurs impacts sont les plus visibles. C’est aussi au niveau des collectivités que ces conflits peuvent être surmontés et que des trajectoires communes peuvent être développées. Les territoires sont des acteurs clés pour permettre aux populations de s’approprier la transition écologique et construire des projets adaptés aux réalités locales. Mais comment mettre en pratique la promesse politique de participation citoyenne et de co-construction ?
L’expérience le montre : la démocratie représentative ne suffit pas totalement en matière de transition écologique et sociale. Cette dernière ne se joue pas seulement sur le « quoi », mais aussi sur le « comment ». Or, les autorités locales ne peuvent généralement pas attendre le prochain passage aux urnes pour faire approuver un projet par les citoyens. Afin d’assurer une participation continue et une adhésion durable aux transformations engagées, une coopération au long court avec les habitants est essentielle.
Les assemblées citoyennes sont de plus en plus souvent présentées comme un instrument complémentaire aux mécanismes traditionnels de la démocratie représentative. Regroupant des citoyens aux profils variés, elles délibèrent collectivement sur les solutions à apporter à des questions controversées, comme celles liées au changement climatique, avant de formuler des recommandations politiques. Instrument prometteur, elles sont actuellement expérimentées à de nombreux endroits.
Dans le cadre de son travail sur la transition énergétique locale en France et en Allemagne, le Forum pour l’avenir a rencontré et dialogué avec de nombreuses communes qui adoptent d’autres formes de participation, afin d’impliquer davantage leurs habitants dans la transition énergétique, ses enjeux, ses modalités, ses résultats.
Dispositifs de financement participatif
La commune rurale de Hoort, dans le Land du Mecklembourg, a su mobiliser ses habitants via le financement participatif d’un parc éolien mis en service en 2020. Particularité du projet, quatre des seize éoliennes ont fait l’objet d’une contractualisation par la société locale Windpark Hoort 2 GmbH & Co. KG, appartenant pour moitié à la commune de Hoort. Le reste des parts est détenu par les habitants, les communes avoisinantes et le fournisseur d’énergie local. Grâce aux bénéfices générés et aux revenus des baux, la commune a sécurisé son budget pour les 20 prochaines années. Une partie des retombées économiques lui a aussi permis de rénover le centre municipal et le jardin d’enfants. Peu étonnant, donc, que les habitants soient désormais attachés à « leur » parc éolien.
Information et transparence
La ville de Tamm, dans le Landkreis de Ludwigsbourg, a construit un réseau de chaleur neutre en carbone à vitesse grand V. Depuis début 2024, il alimente déjà certains habitants en chaleur à prix abordable. D’ici 2030, tout le centre historique sera raccordé au réseau. Au-delà de sa rapidité d’exécution, Tamm illustre la façon dont une commune peut associer activement sa population à la transition énergétique. Sans aucune obligation de raccordement, 80 % des habitants ont choisi d’adhérer au réseau.
Le succès du projet repose en grande partie sur une stratégie d’information transparente et participative. Depuis décembre 2021, la ville organise des réunions en ligne ouvertes à tous, permettant aux habitants et aux personnes intéressées de s’informer et d’échanger sur l’avancée des travaux. Dès le lancement du projet, un « journal de chantier » a été mis en place sur le site web municipal, avec des photos régulièrement actualisées et une présentation détaillée du plan d’aménagement. En parallèle, plusieurs formats d’information ont été déployés : stands d’information sur le marché hebdomadaire, flyers et communication ciblée auprès des habitants directement concernés par le tracé, service de conseil personnalisé par l’Agence de l’énergie de Ludwigsbourg (Energieagentur Kreis Ludwigsburg). Tous les ménages vivant à proximité d’un tronçon de construction sont informés par courrier avant le début des travaux. Pour mener ces actions, Tamm s’est dotée en avril 2023 d’un service spécifique dédié à l’environnement. Composé de trois agents, il pilote le développement des énergies renouvelables et accompagne la ville dans sa transition énergétique.
Travail culturel participatif
Loos-en-Gohelle, ancien haut-lieu minier du nord de la France, a su faire de sa politique culturelle un véritable levier pour la transition écologique, en plaçant ses habitants au cœur de la démarche. Depuis 1984, les Loosois et Loossoises organisent chaque année le festival « Les Gohélliades », une célébration de l’histoire locale où les habitants eux-mêmes mettent en scène le passé minier de la région. En parallèle, la ville a adopté une approche novatrice : la mise en récit. Cette méthode narrative permet aux citoyens de s’approprier leur propre histoire pour mieux construire l’avenir.
Quel lien avec la transition énergétique ? L’impact de cette dynamique culturelle est déterminant : en tournant collectivement la page de leur passé minier, les habitants ont pu se projeter vers un avenir durable. S’appuyant sur cette politique culturelle participative, la ville et ses citoyens co-construisent des projets écologiques, allant de la culture de légumes biologiques à l’installation de panneaux photovoltaïques. Grâce à cette approche mêlant mémoire, culture et engagement citoyen, Loos-en-Gohelle s’est imposée comme une référence en matière de transition écologique locale, comme les travaux du Forum pour l’avenir franco-allemand l’ont constaté lors de son premier cycle de travail. En redonnant du sens à son territoire, la commune a fait de son héritage un tremplin pour passer « du noir au vert ».
Tous ces exemples, allemands et français, illustrent la diversité des leviers à disposition des communes pour associer leurs habitants à la transition écologique et sociale. Qu’il s’agisse d’information, de participation financière ou d’un engagement culturel sur le long terme, il n’existe pas de solution unique garantissant le dynamisme de la vie locale. Mais un point clé se dégage : lorsque les citoyens se sentent écoutés, lorsqu’ils participent activement aux prises de décision ou qu’ils perçoivent des bénéfices concrets, leur adhésion à l’objectif commun, ici celui, central, de la transition énergétique, s’en trouve renforcée. Le niveau local, par sa proximité avec les habitants, constitue ainsi un terrain d’action essentiel pour bâtir un nouveau contrat social et écologique.
Dans le même temps, ces initiatives soulignent une réalité fondamentale : la participation ne s’improvise pas. Elle nécessite un engagement sur le long terme, des compétences spécifiques et des ressources adaptées. La situation politique actuelle le montre : impliquer les citoyens n’est pas un « nice to have » – mais un levier essentiel pour parvenir à une transformation à la fois écologique et socialement juste.
Conseils de lecture
- Une version plus détaillée de cet article sera dans l'Annuaire IFD France 2024, qui paraîtra au printemps 2025.
- Eversberg, Dennis et al. (2024) : Der neue sozial-ökologische Klassenkonflikt, Francfort/M. : Campus Verlag