Les obstacles à la comptabilité locale des émissions GES
Trois obstacles principaux…
Comme un grand nombre de collectivités territoriales en Allemagne, M. Kopp et la ville de Marbourg se heurtent cependant à de nombreux obstacles dans leurs démarches pour mettre en place un suivi efficace, en premier lieu desquels l'obtention des données.
En France, les collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants y sont déjà tenues depuis 2012 – une obligation étendue aux collectivités de plus de 20 000 habitants depuis 2020. Il existe dans presque toutes les régions des « Agences et observatoires régionaux de l’énergie et de l’environnement », qui accompagnent la collecte et le traitement des données. Toutefois, comme en Allemagne, l’accès à des données fiables et régulièrement actualisées, ainsi qu’à des modèles permettant le suivi des effets des mesures de protection du climat à l’échelle locale reste insuffisant.
Les normes de comptabilisation des émissions GES sont un autre obstacle. Ainsi, en Allemagne, la norme Bisko ne tient pas compte de certains secteurs hautement émetteurs comme les transports et la consommation. La France, quant à elle, a pris un pas d’avance avec l’introduction de la norme Scope 3. Celle-ci permet la prise en compte non seulement des émissions directes mais aussi des émissions indirectes, nécessaires par exemple à la fabrication et au transport d'un produit.
Enfin, les collectivités territoriales ne disposent que trop rarement des capacités et compétences pour effectuer les mesures nécessaires. En France comme en Allemagne, il existe un grand besoin de soutien ciblé en la matière. À Marbourg, Thomas Kopp s'est mis en quête de données et tente de mettre en place des systèmes de mesure en ville. La plupart des collectivités territoriales des deux pays n'auront cependant pas les capacités de le faire sans soutien complémentaire.
« L’acquisition et la qualité des données représentent un défi majeur pour comptabiliser nos émissions de gaz à effet de serre. Et, aussi bien sûr, l’actualisation de ces données. Les données que nous transmet le groupe de travail régional en Hesse peuvent dater de 2 ou 3 ans. […] Si nous voulons utiliser la comptabilité comme un outil de mesure de l’action climatique à l’échelle des collectivités territoriales, nous sommes contraints de nous procurer des données par nos propres moyens, parfois à titre payant. »
Nadine Bernshausen, Maire et référente climat, Ville universitaire de Marbourg
... et des solutions
Dans le cadre du « Forum », des acteurs de collectivités territoriales, des expert· es de la société civile et des administrations nationales françaises et allemandes ont évoqué ensemble les défis de la comptabilisation locale des émissions GES. Il est apparu clairement que les collectivités territoriales ne pourront résoudre seules ces défis sans un soutien conséquent du niveau national, en particulier en Allemagne, mais aussi en France. Ces efforts supplémentaires profiteraient directement aux gouvernements des deux pays, puisque l’atteinte des objectifs nationaux de réduction des émissions dépend des efforts fournis dans les collectivités territoriales et de leur capacité à les mesurer.
C'est pourquoi le Forum pour l’avenir franco-allemand recommande aux deux gouvernements d’intensifier considérablement leurs efforts pour mettre en place un suivi efficace des émissions de GES à l’échelon local et intégrer ce suivi à la comptabilisation nationale.
Des propositions d'action concrètes accompagnent cette recommandation pour répondre au besoin de normes, de modèles, de méthodes uniformes ainsi que de données exploitables, afin que les collectivités territoriales puissent définir leurs propres objectifs et mesurer leurs progrès.
L’une d’entre elles est de garantir légalement l’accès des collectivités territoriales à des données régionalisées et actualisées, dans des formats adaptés – y compris les données détenues par les acteurs privés tels que les opérateurs de réseaux.
Le Forum pour l’avenir recommande également au gouvernement français de renforcer les agences et observatoires régionaux existants, en particulier dans leur capacité à préparer, traiter et analyser les données et consolider leur rôle de soutien, non seulement aux régions mais aussi aux communes et intercommunalités. En Allemagne, l’État fédéral devrait s’associer aux Länder pour mettre en place des observatoires régionaux chargés de collecter des données, d’accompagner et de conseiller les communes.
Le gouvernement allemand devrait en outre réviser fondamentalement les objectifs, outils et méthodes de comptabilité (notamment la norme Bisko) afin de mieux refléter l’impact des politiques régionales sur les émissions de GES. Cela implique notamment la prise en compte non seulement des émissions de GES, mais aussi des puits de carbone, ainsi que l’élargissement de la comptabilité au scope 3, déjà en vigueur en France. Les bilans GES des collectivités territoriales ainsi renforcés devraient être intégrés dans une visualisation nationale des politiques régionales climatiques accessible au public.
Un regard du côté de nos voisins en Norvège ou au Royaume-Uni démontre qu’en favorisant un accès facile aux données et aux méthodes de comptabilisation GES, les gouvernements nationaux sont tout à fait en mesure de soutenir les collectivités territoriales dans le suivi des émissions et l’identification de leurs puits de carbone. Ces mesures sont indispensables afin d’accélérer la transition écologique en France et en Allemagne.
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