Renouvelables : quels leviers pour partager les bénéfices économiques ?

Par Robin Denz
Traduit de l'allemand par Robin Denz
Un enjeu central pour la transition énergétique
Le partage des bénéfices économiques générés par les énergies renouvelables (EnR) s’impose comme un levier décisif pour accélérer la transition énergétique. Il permet de renforcer la capacité de résilience des territoires et favorise l’adhésion des citoyens. L’idée est simple : permettre aux communes et à leurs habitants de profiter directement des retombées économiques des projets EnR implantés sur leur territoire. Encourager ce type de projets d’énergie citoyenne revêt une importance particulière pour l’éolien, qui est parfois confronté à de fortes oppositions.
En Allemagne, des modèles inspirants fleurissent, alors que la France peine encore à établir un cadre législatif adéquat. Quels enseignements peut-on tirer des expériences allemandes pour garantir un partage équitable de la valeur et dynamiser l’énergie citoyenne ? Le Forum pour l’avenir franco-allemand s’est penché sur la question.
Éolien citoyen : trois exemples, trois approches différentes
#1 Le parc éolien de Hoort : un modèle gagnant-gagnant pour promoteurs et collectivités
En 2012, lors de la définition des zones de développement éolien dans le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, plusieurs promoteurs ont sollicité la petite commune de Hoort. Parmi eux, Loscon GmbH s’est démarqué avec une proposition innovante : ouvrir 25 % des parts de la société de projet aux habitants et aux communes avoisinantes.
Convaincue par cette approche, la maire Iris Feldmann a décidé de tenter l’expérience. À l’issue d’une procédure dérogatoire longue et complexe, le parc éolien a finalement vu le jour en 2020. Sur les 16 éoliennes du projet, quatre ont été acquises par une société citoyenne locale créée à cet effet (Windpark Hoort 2 GmbH & Co. KG), dont près de la moitié des parts appartiennent à la municipalité de Hoort. Les habitants, les communes voisines et un fournisseur d’énergie local détiennent le reste des parts. Les retombées économiques générées par ce modèle sont considérables : elles ont permis à Hoort de rénover son centre municipal, d’ouvrir une crèche et d’assurer son budget pour 20 ans.
#2 Le parc éolien de l’Hyrôme : citoyens et collectivité main dans la main
Des initiatives similaires ont vu le jour en France, par exemple dans la communauté d’agglomération de Mauges. En juin 2018, le développeur Nordex a obtenu les autorisations pour un parc éolien de cinq turbines et a mis le projet en vente. Soucieuse d’éviter qu’il ne tombe entre les mains d’un opérateur extérieur, l’association citoyenne Atout Vent a mobilisé les acteurs locaux afin de reprendre le projet et en faire bénéficier le territoire.
En février 2019, trois structures locales ont uni leurs forces pour acquérir le parc éolien de l’Hyrôme : la société citoyenne SAS Cit’Eole Hyrôme, créée par Atout Vent et rassemblant plus de 350 habitants, Mauges Communauté via sa SEM Mauges Énergies et la SEM Alter Énergies. À cela s’est ajoutée Énergie Partagée, qui a joué un rôle clé dans la réalisation de ce projet en engageant 2 millions d’euros via son fonds d’investissement citoyen. L’un des principaux défis pour les citoyens a été de se faire reconnaître comme un acheteur crédible, capable de réunir les fonds nécessaires. Le soutien de la collectivité a également joué un rôle clé en renforçant la légitimité du projet auprès des vendeurs.
#3 Le parc éolien de Schönberg : quand la loi porte ses fruits
Les exemples de Hoort et de Mauges mettent en lumière le potentiel de l’éolien citoyen pour les territoires. Néanmoins, ces projets reposent souvent sur l’engagement d’une poignée de personnes déterminées et sur la capacité des acteurs locaux à rivaliser avec des investisseurs extérieurs. Pour pallier ces limites, le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale s’est inspiré de l’expérience de Hoort et a adopté en 2016 une loi imposant aux promoteurs d’ouvrir au moins 20 % des parts de leurs projets aux communes et habitants situés dans un rayon de 5 km.
Cette règlementation a montré son efficacité lors du remplacement des anciennes éoliennes par des modèles plus puissants (repowering) dans le parc de Schönberg en 2020. La commune de Dassow a saisi l’occasion pour acheter des parts pour un montant de 60 000 €. En raison de la hausse des prix liée à la crise énergétique, la commune a récupéré 63 000 € en seulement trois ans. Les retombées permettent aujourd’hui de financer différents projets locaux, comme l’installation de panneaux photovoltaïques sur le toit d’une école, le passage de l’éclairage public au LED, l’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques ou encore la construction d’une maison associative.
Des Länder pionniers en Allemagne, un blocage règlementaire en France
De nombreux Länder allemands ont suivi cet exemple en adoptant des lois similaires afin d’assurer un partage équitable des bénéfices liés aux énergies renouvelables. Le Land du Brandebourg, par exemple, impose depuis 2019 aux promoteurs de verser 10 000 € par éolienne et par an aux communes situées dans un rayon de 3 km. Une révision de cette loi prévoit de passer dès 2026 à un versement annuel basé sur la puissance installée, à savoir 5 000 € par MW. Pour une éolienne moderne, cela représenterait environ 30 000 € par an. Consultez notre fiche outil pour plus de détails sur ces dispositifs.
En France, un cadre règlementaire similaire tarde à se concrétiser. L’article 93 de la loi APER, adoptée en 2023, prévoit d’imposer une contribution à certains promoteurs de projets éoliens et photovoltaïques afin qu’une partie des retombées économiques bénéficie aux communes concernées. Pourtant, le décret d’application précisant les modalités de cette contribution au partage territorial de la valeur se fait toujours attendre.
Le projet de décret actuel propose notamment un versement unique de 17 500 € par MW installé, destiné à financer des projets communaux liés à la transition énergétique, la biodiversité ou l’adaptation au changement climatique. Pour une éolienne moderne, cela représenterait environ 100 000 €, un dispositif moins pérenne et moins ambitieux que les versements annuels en vigueur dans les Länder allemands.
Pour accélérer l’appropriation citoyenne de la transition énergétique, il est essentiel de publier ce décret rapidement tout en renforçant son ambition. Le gouvernement français gagnerait à s’inspirer des modèles allemands, comme le recommande le Forum pour l’avenir franco-allemand (cf. point 1).