Renforcer les compétences des collectivités et de leurs partenaires pour décarboner l’approvisionnement en chaleur
La décarbonation de l'approvisionnement en chaleur est complexe. Les collectivités doivent identifier les sources de chaleur disponibles et définir le mode de gestion qui leur semble le plus approprié : gestion en régie, mise en place d’une délégation de service public (DSP) ou d’une société d’économie mixte (SEM, SemOp). Ce choix a un impact sur le financement et la maîtrise des prix. Il est donc essentiel de proposer des formations et de coordonner les différents acteurs.
En bref
- Les petites collectivités, en particulier, manquent souvent de capacités internes pour relever le défi de la décarbonation de la chaleur.
- Pour renforcer l'action locale dans ce domaine, l'Allemagne et la France devraient créer une meilleure offre d’accompagnement.
- Des formations devraient être proposées au personnel bancaire pour que le rôle des banques comme partenaires du développement de réseaux de chaleur soit renforcé.
- En complément, il faudrait former davantage de spécialistes en géothermie.
La Ville de Tamm (12 000 habitants), dans le Landkreis de Ludwigsbourg, a construit en seulement 15 mois un premier tronçon de 1,5 kilomètres d’un réseau de chaleur neutre en carbone et accessible aux habitants. Le syndicat d’énergie du Landkreis de Ludwigsbourg (LEA) a joué un rôle décisif dans le succès de ce projet, en conseillant la Ville de Tamm et apportant l’accompagnement technique nécessaire à la construction du réseau.
En janvier 2022, la Ville a créé une entreprise communale à but non lucratif. En novembre 2023, elle a lancé son propre service de protection de l’environnement, avec trois employés dédiés au développement des énergies renouvelables. Grâce à l’accompagnement du syndicat d’énergie, la Ville a pu obtenir différentes subventions européennes pour financer ses initiatives.
Cet exemple illustre la valeur ajoutée significative que représente l’accompagnement d’acteurs spécialisés, tels que les syndicats d’énergie, pour les administrations communales dans la réalisation de projets de décarbonation.
En Allemagne, un « centre de compétence pour la transition vers la chaleur renouvelable des collectivités » (KWW) a été créé en 2022 pour soutenir les collectivités dans l’élaboration de leur planification de la chaleur locale. Des modèles pratiques pour les appels d’offres, disponibles dans un cahier des charges type, facilitent le démarrage. Un portail de recherche permet aux communes de trouver des prestataires de services référencés, tandis qu’un catalogue technique aide à évaluer les aspects technico-économiques.
Nos propositions d'action
Pour relever le défi de la décarbonation de la chaleur, ce sont en particulier les petites collectivités qui ont besoin d'accompagnement, car elles manquent souvent de ressources et d'expertise en interne. Elles ont besoin de soutien pour la recherche de subventions et de sources de financement, pour la gestion des projets et leur réalisation technique.
Pour renforcer le soutien aux collectivités, l'Allemagne et la France devraient centraliser, élargir et promouvoir activement les offres d’accompagnement par des intermédiaires au niveau régional. En France, les collectivités peuvent s’appuyer sur le dispositif des « Contrats Chaleur Renouvelable » (CCR) mis en place par l’ADEME, ainsi que sur des structures d’accompagnement telles que les sociétés publiques locales (SPL) créées pour l’occasion, les syndicats d’énergie intercommunaux et départementaux et les agences techniques départementales. Une connexion avec les guichets uniques pour la rénovation des bâtiments, prévus par la législation européenne d’ici 2026, pourrait également être envisagée.
Pour renforcer les offres de conseil, les syndicats d’énergie devraient être incités à accompagner de manière encore plus proactive les petites collectivités dans la conception de leurs réseaux de chaleur. Concrètement, cela impliquerait le choix du modèle de gouvernance : parmi les différentes options existantes, le recours à la Société d’économie mixte à opération unique (SemOp) peut être une solution intéressante pour les collectivités, permettant de trouver un équilibre entre contrôle public, expertise privée et financement sécurisé. Dans ce type de structure, la collectivité préside, supervise et s’implique dans les décisions stratégiques du réseau, tandis que l’exploitant du réseau investit, apporte son expertise technique et partage une partie des risques liés à l’exploitation du réseau.
Lisez notre recommandation « Conduire une rénovation énergétique socialement juste ».
De nombreuses collectivités allemandes rencontrent des difficultés, lors de l'élaboration de leur plan chaleur, pour identifier les sources de chaleur renouvelables dans lesquelles il leur est pertinent d’investir. Les intérêts divergents des acteurs impliqués et les délais imposés ajoutent à cette complexité. Les décisions d'investissement doivent souvent être prises avant la finalisation des plans chaleur.
Il serait judicieux d'examiner l'opportunité de recommander l'utilisation d’outils pour accompagner la planification énergétique et les demandes de subventions. Cela encouragerait leur utilisation systématique par les communes. Le dispositif « EnR Choix » de l’ADEME en France constitue un exemple inspirant.
En France, les principes d’application de ce dispositif encore très récent devront être formalisés dans un cahier des charges à partir de début 2025 pour que toutes les sources d’énergies renouvelables disponibles puissent être bien considérées.
La plupart des banques manque encore d'expérience et de compétences en matière de financement des réseaux de chaleur et de l’approvisionnement en chaleur renouvelable. Les établissements de crédit régionaux tels que les Caisses d'épargne et les banques coopératives sont des partenaires idéaux pour soutenir la transition énergétique locale, mais ils restent souvent prudents dans leurs engagements financiers.
Cette réticence s’explique en partie par la complexité et la diversité des sources de chaleur renouvelable, qui varient selon les spécificités locales et requièrent de la part des banques une expertise nouvelle en gestion des risques pour évaluer ces projets. Par exemple, à Potsdam, la géothermie profonde doit remplacer le gaz naturel, tandis qu'à Greifswald, l'utilisation de la chaleur fatale est à l’étude. Dans les deux cas, le financement des infrastructures représente un défi de taille.
L'Allemagne et la France devraient donc proposer des formations aux employés des banques, axées sur le financement des réseaux de chaleur et la gestion des risques associés. Ces formations pourraient être organisées par un consortium rassemblant des banques d'investissement, la Caisse des dépôts, des universités et des agences régionales de l'énergie. Elles pourraient également servir à promouvoir des modèles de garanties publiques adaptés.
Lisez notre recommandation « Faciliter le financement de la chaleur renouvelable ».
L’exploitation de la géothermie, classée au 2e rang des priorités de l’ADEME pour décarboner l’approvisionnement en chaleur, se heurte à un manque de compétences, de financement et de connaissance du sous-sol. Cette technologie exige en effet des expertises spécifiques, du matériel adapté et des entreprises qualifiées.
En Allemagne, la géothermie profonde pourrait, à elle seule, couvrir 25 % de la demande totale de chaleur. L'institut Fraunhofer pour les infrastructures énergétiques et la géothermie (IEG) estime que chaque MW de puissance installée nécessiterait entre 5 et 10 emplois à temps plein (Fraunhofer IEG, 2022). Cependant, en France comme en Allemagne, le manque de personnel qualifié, les formations en géothermie limitées et la rareté des entreprises spécialisées constituent des freins importants. Il serait donc pertinent de créer une véritable filière intégrée de la géothermie, en encourageant le développement de formations spécialisées.
Par ailleurs, il conviendrait d’encourager la coopération franco-allemande dans le domaine de la recherche, surtout autour du fossé rhénan qui présente des caractéristiques géologiques similaires des deux côtés de la frontière. Mutualiser les efforts de recherche pour établir une cartographie commune des potentiels géothermiques et des solutions conjointes en matière d’assurances permettrait d’améliorer l’acceptabilité sociale de cette technologie et d’accélérer son développement dans la région.
Autres inspirations
Le KWW soutient les collectivités dans l’élaboration de leur planification de la chaleur locale. Des modèles pratiques pour les appels d’offres, disponibles dans un cahier des charges type, facilitent le démarrage. Un portail de recherche permet aux communes de trouver des prestataires de services référencés. Une boussole de données simplifie l’accès aux informations pertinentes. Un catalogue technique aide à évaluer les aspects technico-économiques, et un guide fournit des recommandations méthodologiques pour la planification de la chaleur.
La plateforme EnRezo, développée par le CEREMA, est un outil cartographique innovant qui identifie et géolocalise les zones propices au développement des réseaux de chaleur et de froid. Cette carte interactive affiche les besoins en chaleur et en froid des bâtiments, les infrastructures de production et de stockage, les réseaux existants, ainsi que les potentiels d’énergies renouvelables mobilisables sur l’ensemble du territoire national. Les données en accès libre sont une aide à la décision pour le développement local et la planification locale de la chaleur des collectivités.
L'Agence pour l’énergie IB.SH, intégrée à la Banque d'Investissement du Land de Schleswig-Holstein, conseille les collectivités locales et les citoyens sur les subventions et les financements possibles pour les mesures de protection climatique et de transition énergétique, notamment celles soutenues par la Banque d'Investissement du Schleswig-Holstein. Ce lien étroit entre conseil et financement, unique en Allemagne, permet une prise de décision rapide concernant les prêts destinés à ces projets. De plus, il permet à l'agence d'accompagner les projets au-delà de la consultation initiale et tout au long de leur mise en œuvre. Ce suivi approfondi lui permet d’acquérir des enseignements précieux sur les facteurs de succès, qui enrichissent ses futures consultations.
Geotis est un système d'information en ligne géré par l'Institut Leibniz de géophysique appliquée (LIAG). Il fournit des données sur le potentiel de la géothermie profonde et de surface en Allemagne. La plateforme propose des modèles du sous-sol sous forme de cartes, ainsi que des rapports et des informations techniques sur les sites géothermiques existants, les forages en cours et les projets futurs.
Actif à l'échelle nationale, il encourage la collaboration entre les collectivités engagées dans la planification de la chaleur locale et la transition énergétique. Les communes membres, confrontées à des contextes, des défis et des problématiques similaires, se retrouvent dans un espace commun pour partager leurs expériences et concevoir ensemble des solutions adaptées. Ce réseau permet ainsi de mutualiser les connaissances et de progresser plus efficacement dans la décarbonation de la chaleur à l’échelle locale.
