Faciliter le financement de la chaleur renouvelable
La décarbonation du secteur de la chaleur repose avant tout sur l'action au niveau local. Toutefois, les collectivités territoriales manquent souvent des capitaux nécessaires pour étendre les réseaux de chaleur et développer les sources renouvelables. Le coût initial élevé des investissements et les longues périodes d'amortissement se heurtent aux ressources limitées des collectivités, rendant indispensable la mise en place de solutions de financement adaptées aux différentes sources de chaleur.
En bref
- Les collectivités locales jouent un rôle décisif dans la décarbonation de la chaleur. Cependant, en particulier les plus petites d’entre elles se heurtent à des difficultés de financement.
- Un certain nombre d’outils pourrait améliorer l’accès des collectivités territoriales et de leurs opérateurs énergétiques aux emprunts bancaires. Les partenariats public-privé pourraient regrouper l'expertise et le capital nécessaires pour accélérer la transition énergétique. Il est important d’encourager la mise en place de structures contractuelles qui garantissent l’indépendance énergétique du territoire, notamment en ce qui concerne la fixation des prix.
- La multiplication de projets de chaleur fatale et de géothermie devrait être encouragée par des fonds dédiés.
À Amiens, la délégation de service public (DSP) pour le réseau de chaleur a été confiée en concession à une société d’économie mixte à opération unique (SemOp) en 2016. Elle est composée à 51 % par l’opérateur ENGIE, à 34 % par la Ville et à 15 % par la Caisse des dépôts et consignations.
C'est la première SemOp énergétique de France – un type de partenariat public-privé – qui offre des avantages à la collectivité par rapport à d’autres modes de gouvernance plus répandus. Ainsi, la collectivité reste au cœur de la gouvernance en présidant la société (malgré une participation minoritaire au capital social) et limite son apport financier, tout en accédant aux ressources humaines, techniques et financières du secteur privé.
Pour l’opérateur énergétique choisi et la Caisse des Dépôts (non soumise à la concurrence pour l’entrée au capital), le financement via des fonds propres, mais aussi des apports en compte courant d’associés, plus flexible, offre une rémunération plus constante et plus rapide que dans un autre type de gouvernance.
Le réseau de chaleur d’Amiens a également été financé par un emprunt accordé par un pool bancaire local. Ce modèle de financement repose donc sur un équilibre entre investissements publics et privés tout en offrant une flexibilité financière à la collectivité.
Depuis 2024, la « planification locale de la chaleur » est obligatoire en Allemagne et un plan chaleur doit être présenté en 2026 ou 2028 selon la taille de la collectivité. Le gouvernement finance la réalisation de ces plans à hauteur de 500 millions d’euros d'ici 2028. Les plans chaleur visent à déterminer quels modes d'approvisionnement en chaleur renouvelable sont adaptés aux besoins locaux, en prenant en compte leur pertinence économique.
Nos propositions d'action
En Allemagne, le gouvernement fédéral et les Länder devraient mettre en place et financer des programmes de garantie ou de crédit communal afin de garantir la liquidité nécessaire en cas d'insuffisance de fonds propres des fournisseurs d'énergie municipaux ou des collectivités.
En France, l’introduction d’un programme de garantie ne semble pas nécessaire, car l’offre de subventions de l’ADEME et le financement bancaire, notamment par la Caisse des dépôts (« prêts transformation écologique »), est suffisamment complète. La Caisse des Dépôts peut également s’impliquer en tant qu’investisseur d’intérêt général et de manière indirecte en tant qu’actionnaire de référence de Coriance, un opérateur majeur de réseaux de chaleur.
L’ADEME privilégie les sources de chaleur locales et déjà existantes, priorisant la chaleur fatale par rapport aux autres sources. Malgré son fort potentiel (son intégration dans les réseaux de chaleur étant pertinente lorsque toutes les mesures d'efficacité sont exploitées), son utilisation reste marginale en France et en Allemagne. Elle est souvent perçue comme peu fiable : les sites industriels peuvent être délocalisés ou changer de secteur d’activité, ce qui rend incertaine la disponibilité de la chaleur à long terme. La durée de vie des centres de données est souvent limitée.
L'Allemagne et la France devraient donc créer un fonds de garantie pour la chaleur fatale au niveau national. Ce fonds interviendrait en cas d’évolution ou d’interruption de l’activité générant de la chaleur (industrie ou centre des données) et soutiendrait les collectivités et entreprises dans la recherche de sources de chaleur renouvelable alternatives. Ce fonds serait géré en France par l'ADEME et devrait établir une liste des sources de chaleur renouvelable disponibles pour garantir la continuité de l'approvisionnement en cas de besoin.
En Allemagne, il serait pertinent d'examiner l’opportunité de reconnaître l'approvisionnement en chaleur comme un « service public essentiel » des collectivités. Cette décision aurait des répercussions positives sur les ressources humaines et financières des collectivités. À long terme, les administrations communales conserveraient ainsi leur contrôle sur l'approvisionnement en chaleur et sur la fixation des prix.
Par ailleurs, ce statut améliorerait la capacité des banques à financer des projets de chaleur, ce qui stimulerait la création de nouveaux réseaux de chaleur. Les taux de raccordement plus élevés et des économies d'échelle dans les systèmes de chauffage décentralisés contribueraient à réduire les coûts pour la société. Enfin, la cohésion sociale serait renforcée en faisant de l'approvisionnement en chaleur un projet commun de service public, allégeant ainsi la charge pour les propriétaires individuels.
Si les grandes collectivités ont généralement recours à une délégation de service public (DSP) pour développer et exploiter leur réseau de chaleur, ce mode de gestion est rarement accessible aux petites collectivités, jugées moins attractives par les exploitants privés. De plus, les petites et moyennes collectivités souffrent d’un manque de fonds propres ou d’accès au crédit.
Une expérimentation ouverte par la loi du 30 mars 2023, visant à ouvrir le tiers financement à l’État, introduit la notion de marché global de performance énergétique à paiement différé (MGPE-PD). Afin de soutenir les petites et moyennes collectivités, la France devrait appliquer l’expérience des MGPE-PD à la réalisation de réseaux de chaleur, ce qui permettrait aux collectivités de « lisser » leur remboursement dans le temps. Les recettes d’exploitation pourraient ainsi servir à rembourser les emprunts et à financer le réseau de chaleur.
Le modèle des SemOp basé sur un partenariat public-privé devrait être promu pour la gestion de nouveaux réseaux de chaleur (voir l’exemple d’Amiens).
Les collectivités françaises souhaitant recourir à la géothermie se heurtent à deux obstacles majeurs : des coûts initiaux élevés et une connaissance limitée du sous-sol. La géothermie s'est principalement développée dans le bassin parisien, où le sous-sol est bien connu. Le risque d’échec de forage, bien que faible, est couvert par un fonds de garantie dont le plafond de remboursement s’élève jusqu’à 90 % des coûts engagés. Ce dernier a été étendu à la France métropolitaine au 1er janvier 2024. Toutefois, ce fonds, avec un plafond de 9 millions d’euros, est insuffisant pour d'autres régions où les forages sont plus profonds et coûteux. La France devrait ajuster ce fonds en fonction de la profondeur des forages et investir dans des études d'exploration.
La géothermie de surface, dont le potentiel est considérable, reste également largement sous-développée. Les collectivités devraient être encouragées à y recourir plus facilement, d’autant plus que les coûts d’exploitation sont très faibles et stables dans le temps. Bien que davantage orientée vers l’habitat collectif ou tertiaire, la géothermie de surface peut, dans certains cas, alimenter des réseaux de chaleur, à l’image de celui de l’écoquartier de Nice Méridia.
Autres inspirations
Le fournisseur régional d'énergie Energie und Wasser Potsdam (EWP) doit remplacer d'ici 2035 sa centrale thermique, principal fournisseur d'électricité et de chaleur de la ville. Des investissements d'environ 350 millions d'euros sont nécessaires d'ici 2030. L'entreprise a besoin de capitaux extérieurs et doit apporter 20 % de fonds propres. L’entreprise et ses associés ont envisagé divers modèles de financement, mais augmenter les fonds propres reste difficile. Potsdam illustre les difficultés auxquelles sont confrontés les collectivités et les opérateurs de réseaux de chaleur pour mobiliser les capitaux nécessaires à la décarbonation de la chaleur.
Le projet Calorie Kehl-Strasbourg souhaite utiliser la chaleur fatale issue de la production d'acier de la Badische Stahlwerke et la relier au réseau de chaleur de Strasbourg. Cela permettrait d'alimenter 7 000 foyers strasbourgeois en chauffage urbain renouvelable à partir de fin 2027. Le plan prévoit la construction d'une traversée à travers le Rhin, ce qui constitue un défi à la fois technique et juridique. Cette tâche ambitieuse pourrait s'avérer un exemple remarquable de coopération et d'innovation transfrontalières en matière de transition thermique.
Un réseau de chaleur et de froid de 6 kilomètres, alimenté par une géothermie sur nappe, chauffe et rafraîchit l'écoquartier Nice Méridia. L'énergie est pompée à 34 mètres de profondeur et valorisée par 4 thermofrigopompes. 3 500 logements et 250 000 m³ de bâtiments tertiaires y sont raccordés.
L’entreprise Renault a fait le choix d’alimenter l’usine de Douai en géothermie profonde pour remplacer 70 % de ses besoins en gaz par de la chaleur locale et renouvelable. À partir de 2025, l’eau chaude (130-140°C) puisée à 4 000 mètres de profondeur, fournira une puissance de près de 40 MW en continu, nécessaire à la production industrielle des véhicules. Ce projet est l’un des plus importants soutenus actuellement par l’ADEME. Il représente un investissement de l’ordre de 50 millions d’euros. Cette solution présente l’avantage d’assurer l’indépendance énergétique de l’usine et de garantir la stabilité du prix du MW.
Le projet ForestEner est une structure « publique, privée et citoyenne » qui soutient les communes rurales dans la réalisation de projets bois-énergie en partenariat avec des structures citoyennes locales. L’initiative soutient les collectivités dans la recherche de financements, la mise en œuvre de leur projet et sa gouvernance. Ainsi, ForestEner permet l’exploitation de 12 chaufferies bois et réseaux de chaleur produisant 8000 MWh/an approvisionnés dans un rayon de 40 km.