Donner les moyens aux collectivités territoriales d’assurer un suivi efficace de la protection du climat
« L’acquisition et la qualité des données représentent un défi majeur pour comptabiliser nos émissions de gaz à effet de serre. Et, aussi bien sûr, l’actualisation de ces données. Les données que nous transmet le groupe de travail régional en Hesse peuvent dater de 2 ou 3 ans. Du coup, nous ne disposons pas d’un outil de contrôle réactif en ligne avec les dernières méthodes et normes de comptabilité (BISKO). Si nous voulons utiliser la comptabilité comme un outil de mesure de l’action climatique à l’échelle des collectivités territoriales, nous sommes contraints de nous procurer des données par nos propres moyens, parfois à titre payant. »
Nadine Bernshausen, maire et référente climat, ville universitaire de Marbourg
La ville de Marbourg s’est fixé en 2019 l’objectif d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2030. Pour pouvoir contrôler l’efficacité des mesures qu’elle met en place dans le cadre de son plan d’action climatique, elle s’efforce d’en assurer un suivi efficace. Cette démarche se heurte toutefois à de nombreuses difficultés, telles que la non-disponibilité de certaines données, des normes de comptabilité qui excluent certains domaines importants (ex : les transports ou la consommation) ou encore le manque d’expertise.
En Allemagne comme en France, une grande partie des collectivités territoriales mesurent déjà leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). En France, les collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants y sont déjà tenues depuis 2012. A partir de 2020, cette obligation a été étendue aux collectivités de plus de 20 000 habitants. En Allemagne, près de 3 000 collectivités territoriales comptabilisent déjà leurs émissions sur la base du volontariat.
Les bilans GES sont des repères importants lorsqu’ils s’appuient sur des données fiables et actualisées. Ils permettent d’identifier les succès et de les rendre visibles. Ils sont indispensables pour améliorer les stratégies communales de réduction des émissions et aider à mobiliser d’autres acteurs locaux.
L’accès facile aux données et aux méthodes de comptabilisation GES permet, comme en Norvège et en Grande-Bretagne [1], le suivi par les collectivités territoriales de leurs émissions et l’identification de leurs puits de carbone. Cependant les collectivités territoriales rencontrent des difficultés importantes pour faire leur bilan GES.
En Allemagne, la plupart des collectivités territoriales utilisent la norme BISKO et le logiciel « Klimaschutz-Planer », un logiciel de comptabilité GES à l’échelle des collectivités territoriales. [2] Cependant l’utilité de ces bilans reste limitée car le périmètre et les méthodes de comptabilisation GES ne sont pas encore matures. De plus, certaines données nécessaires ne sont pas disponibles. La plupart des collectivités territoriales ne bénéficient d’aucune assistance technique pour établir leur bilan. En France, il existe dans presque toutes les régions des « Agences et observatoires régionaux de l’énergie et de l’environnement » [3], qui accompagnent la collecte et le traitement des données et assistent les collectivités territoriales dans le développement, la mise en œuvre et le suivi de leurs propres stratégies locales. Les agences et observatoires régionaux se sont organisés en réseaux et reçoivent un soutien financier de l’ADEME et du ministère de la Transition écologique. Toutefois, comme en Allemagne, l’accès à des données fiables et régulièrement actualisées, ainsi qu’à des modèles permettant le suivi des effets des mesures de protection du climat à l’échelle locale reste insuffisant.
[3] Il existe actuellement en France 18 agences et observatoires régionaux de l’énergie et de l’environnement. Les missions de ces agences et observatoires varient d’une région à l’autre, elles assurent parfois un suivi des mesures de protection du climat à l’échelle régionale.
Pour atteindre leurs objectifs nationaux de réduction des émissions, l’Allemagne et la France dépendent des efforts fournis dans les collectivités territoriales et de leur capacité à les mesurer. Les collectivités ont donc besoin de modèles, de méthodes et de données exploitables pour définir leurs propres objectifs et mesurer leurs avancements. Leurs résultats pourraient ensuite être pris en compte dans la mesure des émissions au niveau national. Cela requiert la mise en place d’un cadre et de normes nationales uniformes. C’est pourquoi le Forum pour l’avenir franco-allemand appelle les gouvernements allemand et français à intensifier leurs efforts pour mettre en place un suivi efficace des émissions de GES à l’échelon local et intégrer ce suivi à la comptabilisation nationale.
Propositions d'action
Le Forum pour l’avenir franco-allemand recommande aux gouvernements allemand et français de prendre les mesures suivantes :
L’accès à des données régionalisées est un préalable indispensable à un suivi efficace des émissions GES. Les gouvernements devraient, dans le cadre de leurs compétences législatives, garantir l’accès des collectivités territoriales à des données régionalisées dans des formats adaptés, y compris celles détenues par les acteurs privés tels que les opérateurs de réseaux.
Le Forum pour l’avenir franco-allemand recommande aux gouvernements allemand et français de prendre les mesures suivantes :
Les gouvernements devraient s’assurer que les contributions des collectivités territoriales à la réduction des GES soient visibles internationalement, notamment auprès du GIEC [5]. A cette fin, ils peuvent s’inspirer du rapport volontaire dressé par le gouvernement fédéral allemand en 2021 sur sa mise en œuvre de l’Agenda 2030, qui présentait les contributions des collectivités territoriales à la transition écologique.[6]
[5] Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC).
Le Forum pour l’avenir franco-allemand recommande les mesures supplémentaires suivantes au gouvernement français :
Les Agences et observatoires régionaux de l’énergie et de l’environnement ont fait preuve de leur efficacité pour accompagner les régions françaises dans la mise en œuvre de mesures climatiques. Le gouvernement français devrait renforcer leur capacité à préparer, traiter et analyser les données et consolider leur rôle de soutien, non seulement aux régions mais aussi aux communes et intercommunalités.
Le Forum pour l’avenir franco-allemand recommande les mesures supplémentaires suivantes au gouvernement français :
Le gouvernement français devrait accélérer la convergence des outils méthodologiques utilisés par les Agences et observatoires régionaux de l’énergie et de l’environnement.
Le Forum pour l’avenir franco-allemand recommande les mesures supplémentaires suivantes au gouvernement fédéral allemand :
Les objectifs, outils et méthodes de comptabilité (notamment la norme BISKO) devraient être revus en profondeur afin de mieux refléter l’impact des politiques régionales sur les émissions de GES. L’État fédéral devrait prendre la tête de ce processus de révision en y associant les Länder et les communes.[7] Cette révision devrait notamment porter sur :
- l’abandon des factorisations pratiquées précédemment, qui n’ont qu’un faible pouvoir descriptif, pour passer à des « données réelles » régionalisées, et donc adopter le principe pollueur-payeur dans la comptabilité ;
- la prise en compte non seulement des émissions de GES, mais aussi des puits de carbone ;
- l’élargissement de la comptabilité au scope 3, déjà en vigueur en France.
Les bilans GES des collectivités territoriales ainsi renforcés devraient être intégrés dans une visualisation nationale des politiques régionales climatiques accessible au public.[8]
[7] Conformément aux recommandations d’une étude indépendante de l'agence fédérale allemande de l’environnement (UBA) et de l’agence allemande de l’énergie (DENA).
[8] Voir par exemple en France : https://www.observatoire-climat-energie.fr/regions/
Le Forum pour l’avenir franco-allemand recommande les mesures supplémentaires suivantes au gouvernement fédéral allemand :
S’inspirant du modèle français, l’État fédéral devrait s’associer aux Länder pour mettre en place des observatoires régionaux chargés de collecter des données, d’accompagner et de conseiller les communes. L’État fédéral, les Länder et les communes doivent parvenir à un consensus sur le degré de régionalisation pertinent pour le suivi des GES, par exemple sur les questions de l’intégration des districts (Kreis) et sur la forme de gouvernance optimale.