« Il faut que les aides soient réorientées vers les rénovations performantes »

Propos recueillis en français par Arthur Frantz
Traduits vers l’allemand par Annette Kulzer
 

En France comme en Allemagne, la hausse des coûts de l’énergie entraîne une explosion de la précarité énergétique : en 2024, 10,8 % de la population française est concernée (source : onpe.org). Alors que la rénovation énergétique pourrait constituer une solution, ces démarches sont compliquées et difficilement accessibles, surtout aux propriétaires les plus modestes.

Pour le Forum pour l’avenir, la justice sociale est l’un des piliers essentiels pour accélérer la transition énergétique. C’est le sens de notre recommandation pour une rénovation énergétique socialement juste. Adressée aux gouvernements français et allemand, celle-ci dessine des pistes pour renforcer un accompagnement complet pour les propriétaires qui rénovent, et pour leur proposer des solutions de financement innovantes et équitables. 

Le réseau Cler, une association française qui regroupe près de 300 structures, est engagé pour promouvoir une transition énergétique ambitieuse et juste. Étienne Charbit, responsable de projet Europe au réseau Cler, réagit aux propositions du Forum et les relie au plaidoyer du réseau pour une rénovation performante et solidaire :

La recommandation « Conduire une rénovation énergétique socialement juste » est très en ligne avec ce que nous portons au réseau Cler. Depuis une vingtaine d’années, le constat en France est que l’accompagnement est primordial pour réussir des projets de rénovation, d’où l’importance de mettre en place des guichets uniques. Le modèle français des espaces conseils France Rénov’ est inspirant pour l’Allemagne, et s’inscrit dans le cadre plus large du Service Public de la Rénovation de l’Habitat. Ce statut de service public garantit que des moyens soient dédiés à la rénovation dans le budget annuel de l’État, ce qui était une demande de longue date de notre part.

Accompagner les rénovations performantes

La recommandation souligne aussi l’importance d’un accompagnement complet, en mettant en avant le modèle des sociétés de tiers-financement. Ce modèle est très intéressant, mais il n’est pas encore suffisamment répandu. Au réseau Cler, nous poussons pour rendre obligatoire l’accompagnement technique pour les rénovations performantes soutenues par des subventions publiques : c’est le sens du dispositif Mon Accompagnateur Rénov, qui a vu le jour en 2024. Ces exemples peuvent aussi inspirer les réflexions allemandes sur la mise en place de guichets uniques de conseil à l’échelle nationale, conformément à la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments révisée en 2024.

Prendre en compte l’aspect social

Sur le volet du financement, la progressivité des aides de MaPrimeRénov’ (MPR), que la recommandation souligne, contribue en effet à la prise en compte de l’aspect social. Avec MPR, les ménages les plus modestes sont les plus aidés : ils représentent près de trois quarts des bénéficiaires des subventions (source : particulier.hellio.com). Une avance des aides est prévue par l’Agence nationale de l’habitat (Anah) pour ces ménages, même si les dernières restrictions budgétaires ont réduit sa portée et donc son efficacité.

Pour le réseau Cler, il faut que les aides soient réorientées vers les rénovations performantes, avec un reste à charge qui tende vers zéro pour les ménages modestes dans ce cas. La problématique qui subsiste, c’est l’articulation entre les aides ; les certificats d’économie d’énergie, par exemple, financent beaucoup de rénovations « par gestes », souvent inefficaces. En Allemagne, la banque d’investissement KfW avait justement mis en place des aides pour les rénovations très performantes. Par ailleurs, en matière de financement, la dimension sociale passe aussi par des mesures « palliatives ». Le chèque énergie est à ce titre essentiel, et le réseau Cler demande son triplement.

Actionner le levier règlementaire

Enfin, l’aspect règlementaire est un élément essentiel de la politique française en matière de rénovation énergétique. À ce titre, le réseau Cler soutient le calendrier d’interdiction à la location des logements les moins performants énergétiquement. Cette mesure donne un levier à une frange de la population, les locataires, qui subissent directement le manque de confort énergétique et les factures élevées, tout en ayant peu de moyens d’action. Agir contre les passoires énergétiques est un levier essentiel pour maximiser bénéfices environnementaux et sociaux. Les collectivités peuvent jouer un rôle pour faire appliquer ces obligations, notamment via le levier du permis de louer. Cet enjeu doit être compris comme un aspect du logement décent. L’idéal serait de lier cette interdiction de location à une injonction de rénovation performante.

Étienne Charbit