Entre densification et préservation des espaces libres : comment résoudre l’équation ?
Par Stéphanie-F. Lacombe
Traduit de l’allemand par Marie Millot-Courtois et Marion Davenas
L’espace, une ressource rare et convoitée
En France et en Allemagne, 67 et 55 hectares de terres naturelles, agricoles ou forestières sont urbanisées chaque jour. Cette surconsommation des sols a de graves conséquences sur la biodiversité et la capacité des sols à stocker l’eau ou le carbone. L’étalement urbain conduit aussi à une augmentation des coûts liés aux infrastructures publiques et des déplacements entre les centres-villes et la périphérie. Pour lutter contre cette tendance alarmante, l'Union européenne s’est fixé pour objectif d’atteindre d’ici 2050 le principe de zéro artificialisation nette.
Les villes européennes ont un rôle crucial à jouer pour réaliser cette ambition. Elles peuvent limiter l’étalement urbain en densifiant les espaces déjà urbanisés par la surélévation des bâtiments ou la construction des friches et des dents creuses. Pourtant, tous les terrains disponibles ne doivent pas être construits. La préservation d’espaces libres est indispensable non seulement pour la qualité de vie en ville mais aussi parce qu’ils aident à lutter contre le changement climatique et à s’adapter à ses conséquences. En outre, la qualité et l’étendue des espaces publics de proximité contribuent largement à rendre acceptable la densification.
Néanmoins, choisir de ne pas construire un espace et de le consacrer à des usages non-commerciaux implique souvent une perte de recettes pour les collectivités. Dans ce contexte, comment les villes peuvent-elles, malgré la pression foncière, créer et préserver des espaces libres en milieu urbain tout en se densifiant ? Le Forum pour l’avenir franco-allemand a consacré plusieurs séances de travail à cette question, réunissant une vingtaine de personnes issues de l’administration, de la société civile et de la recherche. Ces échanges, inspirés par les retours d’expérience de plusieurs collectivités pionnières, ont abouti à l’élaboration de recommandations politiques concrètes à l’intention des gouvernements des deux pays.
Un espace, de multiples usages : le levier de la mixité fonctionnelle
Dans un contexte de forte concurrence autour de la ressource foncière, l’aménagement des espaces urbains fait face à des injonctions parfois difficiles à concilier. Pour résoudre cette équation, un levier prometteur est celui de la mixité fonctionnelle, qui vise à superposer plusieurs fonctions sur un même espace urbain.
Ainsi, pendant l'été 2023, la Métropole de Lille a lancé le dispositif « Libre cour, libre jardin », visant à améliorer l’utilisation des espaces extérieurs. Le but ? Permettre aux habitants d’accéder à des cours d'école et des jardins non accessibles habituellement. L'occasion pour les habitants de profiter d’espaces de verdure, d’ombre et de fraîcheur particulièrement appréciables pendant les périodes de fortes chaleurs.
À Munich, le Grünspitz n’est pas uniquement un parc, mais aussi un lieu de convivialité et de culture au cœur d’un quartier densément bâti. L’association Green City l’a aménagé avec les habitants du quartier, anime l’entretien collectif du jardin et y organise des événements culturels. Cet exemple témoigne du rôle décisif des acteurs de la société civile pour redynamiser des espaces autrefois délaissés – une démarche que les collectivités peuvent encourager et pérenniser via un soutien technique et financier. Pour fonctionner durablement, cette coopération doit être accompagnée par des programmes de subvention de long terme.
Comment un espace public est-il utilisé ? Quels besoins des populations environnantes doit-il assurer ? Répondre à ces questions est indispensable pour évaluer et exploiter le potentiel d’intensification des usages des espaces libres. C'est pourquoi la France et l'Allemagne devraient appuyer et financer la réalisation d’études locales visant à identifier le potentiel sous-exploité de l’espace public. En outre, les collectivités devraient être accompagnées et conseillées par des centres de compétence au niveau régional (France) ou du Land (Allemagne) à même d’identifier les opportunités, de partager les bonnes pratiques et de proposer des solutions adaptées aux spécificités locales.
Utiliser les outils de maîtrise foncière au profit de l’espace public
Les collectivités n’ont pas la maîtrise de tous les espaces urbains. Pour influencer leur utilisation, elles emploient des outils de stratégie foncière. La ville de Siegen a par exemple fait usage du droit de préemption pour acquérir le terrain du Herrengarten. La transformation du terrain a été financé par le programme fédéral de renouvellement urbain Städtebauförderung. Dans certains Länder allemands, des fonds fonciers existent pour aider les villes à acquérir des terrains. Toutefois, leur intervention est souvent axée exclusivement sur la création de logements abordables, sans soutenir d’autres projets liés à la transition écologique et sociale.
Ces outils de maîtrise foncière devraient être renforcés et adaptés pour faciliter l’acquisition d’espaces destinés à des usages non générateurs de recettes mais cruciaux pour la transition écologique et sociale.
En France, la loi de juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols accorde aux collectivités un droit de préemption pour préserver les espaces verts et les zones potentielles de renaturation. Cette évolution encourageante pourrait servir d’inspiration pour l'Allemagne.
Les recommandations politiques du Forum pour l’avenir
L’aménagement urbain durable fait l’objet des recommandations de politique publique actuelles du Forum pour l’avenir. Découvrez ici les propositions consacrées à la préservation d’espaces libres en milieu urbain.