Atteindre la neutralité climatique dès 2030 à Marbourg : comment ?
Propos recueillis en allemand par Daniela Heimpel et Anne-Gaëlle Javelle
Dominik, Marbourg s’est fixé comme objectif la neutralité climatique. Qu’est-ce que cela implique exactement ? Ces concepts ne sont pas toujours très clairs, on entend plus souvent parler de neutralité carbone…
C’est une bonne question ! En 2020, la ville de Marbourg a adopté un plan d’action qui vise à atteindre la neutralité climatique d’ici 2030. Je cite : « La neutralité climatique signifie que la quantité de gaz à effet de serre existant dans l’atmosphère n’augmente plus. Dans l’ensemble de la ville, on n’émet que la quantité de gaz à effet de serre que la nature peut absorber. Si plus de gaz est émis, il doit être compensé ailleurs. » Cependant, la neutralité climatique ne correspond pas exactement à la neutralité carbone ; pour cela, de nombreux autres facteurs devraient être pris en compte. Par ailleurs, dans un récent document d’orientation, le conseil scientifique du gouvernement allemand recommande d’aller encore plus loin que la neutralité climatique et de développer des stratégies ayant un effet positif sur le climat. Cependant, les opinions divergent à Marbourg et dans d’autres communes sur ce qui permet d’établir un bilan des gaz à effet de serre. Cela ne simplifie pas les choses si l’on veut maintenir une vue d’ensemble et formuler une définition claire.
Donc l’idée d’atteindre la neutralité climatique vient de la mairie de Marbourg ?
En réalité, l’ambition vient de la rue. En 2019, le mouvement Fridays for Future a pris une ampleur énorme à Marbourg. À plusieurs reprises, des milliers de personnes ont participé à des grèves pour le climat. Les élu·es de Marbourg ont suivi le mouvement et ont déclaré l’urgence climatique en juin 2019. Cette résolution formulait déjà l’objectif que Marbourg atteigne la neutralité climatique d’ici 2030 et qu’à cette fin un plan d’action climatique soit développé conjointement avec les citoyen·nes. Les activistes environnementaux ont ensuite continué leur mobilisation et des centaines d’idées pour ce plan d’action ont été formulées au cours de deux ateliers participatifs qui associaient un grand nombre de citoyen·nes. L’année dernière, le service en charge de la protection du climat au sein de l’administration de la ville de Marbourg a élaboré le plan d’action pour le climat (pour 2030), qui a depuis été complété par des postes supplémentaires.
Cela te paraît réaliste, cet objectif ?
Évidemment que l’objectif de la neutralité climatique est très difficile à atteindre, nous en sommes tous conscient·es. Mais à Marbourg, les politiques et la société civile, avec le soutien d’une part importante d’électeur·ices en mars dernier, se sont alignés derrière l’idée qu’il faut fondamentalement changer notre ville en faveur de la protection du climat, très vite. Et que, pour y arriver, il faut y travailler ensemble : autorités publiques, acteur·ices économiques, scientifiques, organismes de formation, société civile, citoyen·nes… La mise en œuvre et l’actualisation du plan d’action présupposent que nous développions de nouvelles formes de coopération et que nous apprenions les uns des autres – c’est ce dont nous sommes de plus en plus conscient·es. À Marbourg, nous essayons probablement de rendre possible l’impossible…
Avec un tel soutien de l’objectif de la neutralité climatique, le plan d’action climatique doit avoir déjà bien avancé ?
Malheureusement, pas autant que le mouvement pour le climat l’avait envisagé en 2019 ! Nous sommes d’accord sur le besoin de tendre rapidement vers la neutralité climatique et de travailler étroitement ensemble pour l’atteindre, mais nous sommes encore à la recherche d’un moyen efficace pour y parvenir. Pour l’instant, il nous manque les structures pour poursuivre et piloter ce processus de manière collaborative (« gouvernance collaborative »), c’est-à-dire par l’administration de la ville, la société civile et d’autres acteur·ices de la société urbaine. Par ailleurs, la tâche et la responsabilité de protéger le climat doivent être mieux réparties entre les différents services spécialisés de l’administration municipale. La protection du climat doit être poursuivie activement par tous et toutes ; c’est une tâche transversale. En ce qui concerne la coopération avec les autres acteur·ices de la société civile locale, la communication informelle fonctionne relativement bien, mais il nous manque des formats institutionnalisés pour coopérer avec l’Université de Marbourg ou les acteur·ices économiques. La mairie attend que la société civile et les citoyen·nes contribuent aux mesures et agissent eux-mêmes ; la société civile organisée attend que la mairie leur donne une vraie place de partenaire. Les frustrations ont grandi plus vite que les réalisations…
Quel est ton rôle dans tout ça ?
Je suis engagé à deux titres : en tant que coordinateur local du Forum franco-allemand pour l’avenir, et aussi au sein de notre association « Kollektiv von Morgen ». Nous voulons apporter nos compétences et nos connaissances ici, dans la région de Marbourg, pour une transformation socio-écologique et une « culture de la durabilité ». Nous sommes l’organisme responsable d’un réseau régional d’éducation durable, nous avons notre propre programme de formation et nous sommes actif·ves dans la conception et l’animation d’évènements participatifs innovants. Et c’est ainsi qu’à l’automne 2019, suite à la résolution d’urgence climatique à Marbourg, nous avons également été directement impliqué·es dans la préparation et l’animation de deux ateliers participatifs pour développer des idées avec les citoyen·nes afin d’atteindre la neutralité climatique à Marbourg. Au-delà du kollektiv, je porte également une deuxième casquette : depuis cette année, j’agis comme coordinateur local pour le Forum pour l’avenir franco-allemand. Globalement, cela signifie que j’effectue un travail de terrain. J’observe ce qui se passe sur place, j’établis des contacts et je m’entretiens avec différents acteur·ices locaux/locales pour soutenir le travail du Forum pour l’avenir.
Tu sembles être très enraciné à Marbourg, qu’est-ce qui te lie à la ville ?
Lorsque je suis venu étudier à Marbourg en 2003, je n’aurais jamais pensé rester plus longtemps que quelques semestres. Mais le programme d’études sur « l’éducation au développement durable » et la recherche sur la paix et les conflits m’ont retenu ici. Ma fille est née à la fin de mes études et je me suis tout simplement senti chez moi ici, intégré dans un vaste réseau d’initiatives et de projets passionnants. J’aime bien la structure claire de la ville et en même temps sa diversité. Pour moi, Marbourg est comme une grande périphérie – les forêts qui l’entourent sont clairement visibles de tous les coins de la ville.
Quel rôle le franco-allemand joue-t-il dans ton engagement pour la protection du climat ? Ou mieux : en quoi un dialogue franco-allemand peut-il aider Marbourg à atteindre son objectif de neutralité climatique en 2030 ?
En apportant de l’inspiration ! De nombreuses autres villes en Allemagne et en France se sont fixé un objectif de neutralité climatique, avec des domaines d’action assez proches des nôtres. En regardant comment elles se sont organisées, nous trouvons de l’inspiration pour relever les défis que nous affrontons. Cela nous permet d’apprendre les uns des autres. Nous avons eu deux dialogues avec La Rochelle. Cet échange a été une révélation : leur plan a été conçu et est co-porté par l’agglomération de La Rochelle en partenariat avec le port, qui est un acteur économique majeur, avec un groupement d’entreprises déjà engagées sur la question écologique, et avec l’université de La Rochelle. Cette approche partenariale leur donne une puissance d’action bien supérieure à celle que peut avoir une ville seule. D’autres villes s’appuient principalement sur le travail des instituts de recherche. Certaines misent également sur des conseils de citoyens pour le climat ou des ateliers thématiques dans lesquels collaborent des spécialistes locaux/locales issus de l’administration, des sciences, des entreprises et de la société civile. Inspirées par l’échange avec le Forum pour l’avenir, ces différentes approches seront discutées plus en détail avec la ville de Marbourg, afin de développer une démarche adaptée au niveau local.
Un grand merci Dominik, pour cet entretien passionnant et toutes les impressions que tu as partagées avec nous.
À propos de Dominik
Depuis 2020, Dominik Werner est le coordinateur local du Forum pour l'avenir à Marbourg. Après ses études à Marbourg, il a travaillé en tant qu’animateur, formateur et consultant indépendant pour de nombreuses organisations différentes en Allemagne. En 2019, il a co-fondé l'association « Kollektiv von Morgen » (Collectif de demain) qui s'engage pour la transition écologique et sociale locale.