Ancrer la sobriété dans les stratégies nationales de transition énergétique
Pendant la crise énergétique de 2022-2023, l’urgence a exigé des collectivités locales qu’elles adoptent des mesures de sobriété afin d'assurer la continuité de l'approvisionnement. Leurs effets rapides ont démontré le potentiel des changements de comportements pour baisser significativement la demande en énergie. Ces démarches locales ont été soutenues par une communication gouvernementale et des plans d’action nationaux.
Pour pérenniser la sobriété au-delà du court terme et l’intégrer comme un levier structurel au service d'une transition juste et ambitieuse, il est crucial que les gouvernements en fassent un axe structurant de leurs politiques énergétiques. Cela doit se traduire par des politiques publiques concrètes et ambitieuses favorisant l’adoption durable de pratiques moins énergivores et freinant les comportements les plus consommateurs. Ces politiques publiques devront s’accompagner d’un important effort de communication, de sensibilisation et de pédagogie. Celui-ci devra s’appuyer sur un récit positif et mobilisateur, mettant en valeur les co-bénéfices de la sobriété en matière de santé, de cohésion sociale et de recul des inégalités.
Selon le scénario CLEVER, la sobriété pourrait, dans des pays comme la France ou l'Allemagne, contribuer pour moitié à la baisse des consommations énergétiques nécessaire d’ici 2050.
En bref
- Les stratégies nationales de transition énergétique priorisent la décarbonation et l’efficacité énergétique et sous-exploitent le levier de la sobriété, traité de manière secondaire, court-termiste et peu détaillé.
- Certaines collectivités s’engagent d'ores et déjà dans des démarches de transition visant à créer, à long terme, les conditions favorables à des pratiques et à des modes de vie moins énergivores.
- Pour renforcer leur action dans ce domaine, il est indispensable d’ancrer plus fortement les objectifs de sobriété énergétique dans les stratégies nationales et d’accompagner plus étroitement les collectivités dans l’intégration de la sobriété dans leurs documents de planification territoriale.
En Allemagne, le terme Suffizienz ne connaît pas la même popularité que celui de « sobriété » en France. S'il est de plus en plus présent dans le monde académique et au sein des organisations de la société civile, il reste largement absent du discours médiatique et politique et n’est mentionné dans aucune loi ou stratégie nationale. Les textes et discours officiels allemands préfèrent parler d’« économies d’énergie », sans distinguer les économies réalisées grâce aux améliorations technologiques et celles permises par les modifications d’ordre comportemental.
Malgré cette différence sémantique importante, la situation en France et en Allemagne est en réalité plus similaire qu’il n’y paraît : dans les deux pays, le potentiel de la sobriété est encore peu mobilisé par les politiques de transition écologique. Ainsi, les mesures dédiées à la sobriété ne représentaient que respectivement 9 % et 7 % de l'ensemble des mesures contenues dans les Plans nationaux énergie et climat (NEPC) soumis en 2019-2020 à la Commission européenne par la France et l'Allemagne (source : Lage, et al., 2023, p. 5).
Nos propositions d’action
Contrairement à l'Allemagne, la France a déjà défini la sobriété comme l’un des piliers de sa stratégie de transition énergétique. Pourtant, les documents de planification et de pilotage de sa politique énergétique se concentrent principalement sur l’augmentation de l'efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. La promotion de modes de vie et d'organisation moins énergivores est traitée de manière secondaire et peu concrète.
La Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ne consacre aucun chapitre spécifique à la sobriété, qui n'y est intégrée qu’à la marge, alors qu’elle est une condition structurelle à la réussite des objectifs de décarbonation par l’électrification. La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) reconnaît davantage l'importance de la sobriété, mais sans proposer de directives concrètes.
La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE-2) mentionne 4 fois le mot « sobriété » et 134 fois le mot « efficacité ».
Pour promouvoir des politiques de sobriété structurelle à long terme, il est crucial de renforcer et de concrétiser le rôle de la sobriété dans les prochaines versions de la PPE et de la SNBC. Elles devraient par exemple consacrer un chapitre détaillé à la sobriété, donnant des directives claires pour la promouvoir dans les différents domaines et aux différents échelons des politiques publiques.
En Allemagne, le Forum pour l’avenir appelle à ce que la sobriété soit inscrite dans la Stratégie nationale de durabilité (DNS) et que des indicateurs spécifiques de suivi soient mis en place pour en mesurer les progrès.
Les stratégies de sobriété des villes et des communes se focalisent souvent sur la réduction de leurs propres consommations. Outre ce rôle d’exemplarité, les collectivités ont un rôle central à jouer pour créer les conditions favorables à l’adoption, par les citoyens, les entreprises et les autres acteurs du territoire de pratiques moins consommatrices. Cela implique de nombreuses actions dans divers domaines comme l'aménagement du territoire, la mobilité, l'habitat ou encore l'alimentation.
Les collectivités devraient bénéficier d'un accompagnement renforcé pour élaborer des plans d'action transversaux dédiés à la sobriété et intégrer la sobriété dans les documents de planification existants. Les services déconcentrés de l'État (DREAL, DDT), ainsi que des organismes comme l'ADEME, l'ANCT et des réseaux comme AMORCE ou la FNCCR devraient voir leur rôle renforcé pour : accompagner les collectivités dans la réalisation de diagnostics territoriaux précis, fournir des indicateurs de suivi et favoriser l'échange d'expériences entre les collectivités.
En Allemagne, le Forum pour l’avenir propose que les collectivités soient encouragées à intégrer la sobriété de façon systématique dans leurs plans climat. Les agences fédérales chargées d'accompagner les collectivités dans l'élaboration de leurs politiques climatiques devraient également inclure la sobriété dans leurs services d'accompagnement.
Pour être en cohérence avec les appels aux changements des comportements individuels et collectifs, les gouvernements allemand et français doivent s’engager à supprimer progressivement les règlementations, exonérations et dépenses publiques favorisant les pratiques énergivores. Cela renforcerait la crédibilité des politiques de sobriété, y compris au niveau local, et libérerait des marges financières supplémentaires pour financer la transition énergétique.
En France, la Cour des comptes estime à 19,6 milliards d’euros les dépenses de l'État défavorables à l’environnement en 2023. À ce montant s’ajoutent de nombreux dispositifs non pris en compte dans les calculs officiels du budget vert, comme l’exonération de la taxe intérieure sur les carburants pour les avions commerciaux. D’autres dispositifs comme le bouclier tarifaire sur l’énergie devraient être révisés en prenant en compte leur impact environnemental. Selon le Réseau Action Climat, celui-ci favorise davantage la (sur)consommation des ménages les plus aisés qu’il ne protège les ménages les plus fragiles. Il devrait donc être ajusté pour bénéficier plus fortement aux plus précaires sans encourager les consommations énergétiques superflues.
Inspirations locales
Ce succès repose notamment sur la mobilisation soutenue des agents municipaux. En pérennisant cette stratégie au-delà de la crise énergétique, Lyon inscrit les pratiques administratives dans une trajectoire de sobriété à long terme. Cette démarche d’exemplarité est un levier efficace pour instaurer une dynamique de sobriété et embarquer l’ensemble des acteurs du territoire.
Depuis 2017, la Stratégie pour des décisions respectueuses du climat définit la sobriété comme une mission transversale de la collectivité. Ce diagnostic approfondi, réalisé avec le soutien d'un programme de l'État fédéral, identifie les leviers permettant de favoriser des comportements de consommation, de mobilité et d’habitat respectueux du climat.