Inspirons-nous de l’héritage d’une grande génération d’architectes européens
Par Frank Baasner
Traduit vers l'allemand par Annette Kulzer
Ces derniers temps, l’Europe pleure la disparition de grandes personnalités ayant, chacune à sa façon, marqué l’évolution de l’Union européenne : Jacques Delors, Wolfgang Schäuble, Robert Badinter – pour ne citer que quelques-uns, sans oublier Simone Veil, disparue en 2017, et Karl Lamers, auteur avec Wolfgang Schäuble d’un papier fondamental sur l’Europe (1994) qui reste d’une surprenante actualité.
Une place particulière dans ce panorama de deuil, pour tous ceux qui s’engagent dans la coopération franco-allemande, occupe Alfred Grosser. Il s’est éteint à l’âge de 99 ans le 8 février. Infatigable passeur entre nos deux pays, actif dès le plus jeune âge pour nouer le dialogue entre le pays qui l’avait vu naître en 1925 et le pays qui l’a accueilli avec sa famille pour leur donner une chance de survie. Celui ou celle qui souhaite construire, à travers un étroit partenariat franco-allemand, une Europe basée sur un profond humanisme peut et doit s’inspirer de l’œuvre remarquable d’Alfred Grosser.
Pas de coopération sans connaissance mutuelle ni effort intellectuel
Quand je l’ai rencontré à Aix-la-Chapelle en 2019 lors de la signature du nouveau traité « sur la coopération et l’intégration » entre la France et l’Allemagne, il était visiblement heureux de constater que sa conviction profonde avait porté des fruits : sans une meilleure connaissance réciproque des populations, sans un effort intellectuel et humain, toute coopération politique est vouée à l’échec. Un des traits marquants d’Alfred Grosser était sa conviction que tout homme, toute femme avait la même valeur – s’il était reçu à la Chancellerie de Bonn puis de Berlin, au Bundestag ou à l’Elysée, il accordait la même attention et le même respect à une classe de lycéens, une association, un club culturel ou un conseil municipal.
Son œuvre – plus de vingt livres – s’adresse à un public large et diversifié. Mais il a surtout cherché le contact direct avec les êtres humains, pour échanger, dialoguer, et parfois presque prêcher. Son approche partait du constat que le progrès et la civilisation humanistes ne pouvaient se réaliser sans comprendre, expliquer, et accepter les différences entre individus, groupes ou pays. C’est dans l’échange direct, dans l’écoute réciproque que se construit la confiance. Rien n’est jamais acquis, la coopération franco-allemande ne va pas de soi – voici une des leçons que nous pouvons tirer de l’enseignement que nous lègue Alfred Grosser.
Pour le Forum pour l’avenir franco-allemand, né avec le traité d’Aix-la-Chapelle, l’héritage de la « génération Grosser » est fondamental. Sans ces bâtisseurs courageux et visionnaires, nous ne pourrions pas travailler ensemble aujourd’hui, dans la confiance et le respect de l’autre, dans un souci partagé de relever les défis qui nous font face. En partenariat avec de nombreuses structures actives pour un rapprochement des sociétés européennes, le Forum pour l’avenir apporte sa contribution à l’édifice, déjà vaste mais jamais complètement achevé, de la coopération – voire de l’intégration, comme le promet le traité d’Aix-la-Chapelle – entre la France et l’Allemagne.